ÉDITO «Qu’ont fait ces films aux adolescentes que nous étions?»
J’ai 48 ans, trois ans de moins que Judith Godrèche (51 ans). Je suis encore une adolescente quand elle fait son entrée par la grande porte au cinéma, sous la direction de Jacques Doillon pour La Fille de 15 ans (1989), puis de Benoît Jacquot pour La Désenchantée (1990). Cette année, je découvre comme tout le monde que cette porte était pour elle la porte des Enfers.
Mais je ne dirais pas que je suis tombée des nues. La fille de 13 ans que j’étais sentais bien que quelque chose clochait dans les films qu’elle voyait. Difficile, alors, de dire ce que c’était.
J’ai vu beaucoup, beaucoup de films de mes 13 à 20 ans. C’était une ouverture sur le monde unique. Je vivais à la campagne, Internet n’existait pas et je cherchais par tous les moyens à trouver mes semblables à travers la fiction. Mes semblables, c’est-à-dire des femmes et, inconsciemment à l’époque, des lesbiennes. Autant vous dire que les lesbiennes au cinéma en 1989, on n’en trouvait quasiment pas et quand il y avait des personnages lesbiens c’était en grande majorité des femmes damnées, promises à un destin tragique. Les femmes hétérosexuelles, en revanche, il y en avait à l’écran. Et je réalise que j’ai été nourrie, façonnée, pétrie par leurs histoires. Finalement, nous avons toutes vu l’amour, la sexualité, les relations hommes-femmes à travers ce que la pellicule nous donnait à voir.
A 14 ans, j’ai vu L’Été meurtrier (1983) de Jean Becker. J’en ai été très traumatisée. Pas par l’histoire terrible de cette jeune femme née d’un viol, mais par la complaisance avec laquelle ce viol est montré, par la sexualisation du personnage d’Isabelle Adjani, femme brisée, pourtant objectivement présentée comme un objet de désir masculin irrésistible. Le message était totalement troublé.
Je peux citer un grand nombre de film où le viol est banalisé voire érotisé. Aujourd’hui encore, Il était une fois en Amérique (1984) de Sergio Leone reste un des films préférés des hommes de ma génération. On y voit deux viols présentés par le réalisateur lui-même comme des scènes d’amour.
Qu’ont fait ces films aux adolescentes que nous étions? Qu’ont fait ces personnages de femmes, toujours dans l’ombre du héros et en position de proie, à notre génération?
A moi, l’envie de trouver toujours plus de récits écrits par des femmes, et c’est ce que je trouve ce mois-ci encore dans Les Cent Plumes!
Marie Labory*, lesbienne et journaliste
Les Cent Plumes ont signé la charte : «Un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique».
* Marie Labory est la rédactrice en cheffe invitée des Cent Plumes pour cette édition dédiée aux droits des femmes LGBT+. Découvrez tous les sujets au fil du mois
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